Pour répondre à des problématiques sociales telles que l’intégration, l’éducation ou le développement du lien social, Pistes-Solidaires n’hésite jamais à s’investir dans des projets européens ambitieux et à explorer de nouveaux outils. C’est le cas notamment pour “Work-VR” et “VR-Autism”, deux projets qui explorent les possibilités permises par la réalité virtuelle (Virtual Reality ou “VR” en anglais) dans deux domaines bien particuliers : l’intégration des migrants dans le monde professionnel et celle des autistes dans la société. Nous rencontrons Thomas K. Hansen de l’organisation Vifin au Danemark, coordonnateur des projets et spécialiste dans le domaine.
PS : Bonjour Thomas, peux-tu tout d’abord te présenter et nous parler de ton parcours ?
Je m’appelle Thomas, je suis Danois et à la base j’ai une formation de linguiste. J’ai toujours été très intéressé par la linguistique et les langues en général. Après mes études, on m’a proposé de participer à un projet européen dont le but était de collecter des voix et des paroles de toute l’Europe. Je pensais à l’époque que créer cette base de données permettrait un jour de parler avec nos frigos (rires). Même si ce n’est pas encore le cas, j’ai trouvé ce projet génial et cela m’a donné envie de continuer dans cette voie. Je me suis demandé si la reconnaissance vocale pourrait aider à l’apprentissage des langues étrangères par ordinateur. J’ai fait pas mal de recherches sur le sujet, sur ce qui se faisait déjà, ça m’a beaucoup inspiré.
PS : Où tes recherches t’ont-elles mené ?
J’ai découvert beaucoup de projets différents, notamment un qui m’a beaucoup inspiré, mené par une entreprise américaine : un programme d’apprentissage en ligne à la fois sur l’interculturel et les langues étrangères, avec beaucoup d’activités sous la forme de jeux. J’ai voulu ajouter à cela la reconnaissance vocale, qui était mon domaine de prédilection, et mettre le tout sous la forme d’une plateforme. C’est à ce moment-là que j’ai été mis en contact avec mon employeur actuel, le Vejle Center For Integration (VIFIN). Je leur ai présenté mon idée, ça leur a plu, et nous avons développé ensemble une plateforme, le Danish Simulator, pour apprendre le danois en environnement 3D. C’est ce qui a marqué le début de tous nos projets suivants.
PS : Comment passe-t-on d’une plateforme sur ordinateur pour apprendre une langue à la réalité virtuelle pour l’insertion professionnelle des migrants ?
Pour moi, la réalité virtuelle apporte trois choses : elle nous emmène dans des lieux où on ne peut pas aller, nous montre des choses que nous n’avons pas l’habitude de voir, et nous permet d’essayer des choses que nous n’avons pas normalement l’opportunité de faire. Ce dernier élément est devenu notre ligne directrice pour Work-VR. Dans Work-VR, il y a une partie dédiée à la langue et à la culture, et l’autre orientée vers le monde du travail : ce sont deux composantes essentielles de l’intégration selon nous. Les bénéficiaires peuvent pratiquer leur langue et tester des domaines d’activités qu’ils ne connaissent pas avant de s’engager concrètement.
PS : Qu’en est-il de VR-Autism ? Comment le projet est-il né ?
Au sein de notre organisation, nous avons développé petit à petit un service informatique en charge de développer les plateformes numériques et les environnements de réalité virtuelle composé de quatorze personnes, parmi lesquelles certaines sont atteintes d’autisme à des degrés différents. Il existe déjà beaucoup de projets en réalité virtuelle pour aider les personnes souffrant de phobies, la peur en avion par exemple. Alors on s’est dit, pourquoi ne pas essayer de faire la même chose en ciblant les personnes autistes, et voir si la réalité virtuelle peut les aider dans leur quotidien ?
PS : Que penses-tu de l’idée selon laquelle la réalité virtuelle va potentiellement “tuer” certains métiers et la peur que cela suscite chez certains ?
Je pense que la peur est toujours un peu justifiée, parce que c’est vrai qu’il y a un risque dans certains domaines professionnels. Mais je pense aussi que c’est un peu exagéré. Quand nous avons présenté notre premier projet sur l’apprentissage du danois, quelques professeurs ont refusé d’utiliser notre plateforme de peur d’être remplacés sur le long terme. Pourtant, les utilisateurs, que ce soit les apprenants ou les enseignants, qui ont testé notre plateforme, ont tous été enthousiastes et satisfaits. Aujourd’hui, et de plus en plus, la réalité virtuelle entre dans notre quotidien et elle devient donc moins effrayante qu’avant. Au contraire, c’est un objet de curiosité !
PS : Comment vois-tu le futur de la réalité virtuelle ?
Le traitement des phobies sociales sera, selon moi, certainement un domaine important à l’avenir pour la réalité virtuelle. Il y a aussi beaucoup de travail réalisé dans le domaine de l’industrie et de la formation. Les grandes entreprises industrielles dépensent beaucoup d’argent pour former leurs ingénieurs à réparer des machines car ils doivent utiliser les vrais composants, et ça coûte une fortune, d’où l’idée d’utiliser la réalité virtuelle et plus tard la réalité augmentée. Le divertissement sera aussi un gros marché : grimper l’Everest, voler dans les airs, et beaucoup de jeux aussi.
PS : Et toi, quels futurs projets aimerais-tu développer ?
Le processus de “gamification” m’intéresse beaucoup. Ce serait vraiment intéressant si on pouvait mélanger le jeu, l’apprentissage d’une langue et d’une culture, et pourquoi pas l’histoire dans un seul programme. Imagine pouvoir apprendre le français à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale ! Il faudrait remplir des missions, résoudre des énigmes… On peut même imaginer une expérience multi-joueurs et l’appeler World of Learning ! Ce serait vraiment super. C’est dans ce sens que je souhaite aller.
PS : Merci, Thomas !